Mars est-elle cartographiable ?
Jusqu’au début du XIXème siècle les instruments d’observation ne permettaient de distinguer sur Mars que de vastes structures aux contours incertains et parfois changeants, il subsistait un doute quant à la nature de ces structures: étaient-elles de réelles formations stables à la surface de la planète où s’agissait-ils des nuages d’une épaisse atmosphère martienne? Les performances croissantes des télescopes ont permis de lever progressivement le doute et ouvrirent la voie à une cartographie de ce nouveau monde.
Les pionniers
A partir de 1830 les allemands Wilhem Beer et Johann von Mädler, qui avaient déjà réalisé une cartographie de la Lune, entreprirent de réaliser celle de Mars. Ils commencèrent par choisir un méridien de référence, en quelque sorte le Greenwich martien qu’ils fixèrent au niveau d’une zone sombre facilement repérable et qui fut rebaptisée par la suite Sinus Méridiani. Wilhem Beer et Johann von Mädler repèrent sur leur carte les différentes structures sombres accessibles avec les télescopes de l’époque mais les désignèrent, dans un premier temps, par une simple lettre. Ainsi Sinus Méridiani était à l’origine désigné par la lettre « a ». Ils réalisèrent ce travail à partir d’observations réalisées pendant une dizaine d’années et publièrent leur première carte en 1840.
Des cartes de plus en plus précises
Au cours du XIXème siècle la résolution croissante des télescopes permit de discerner davantage de détails et de plus en plus d’astronomes (Angelo Secchi, Frederik Kaiser, Norman Lockyer, William Dawes, Warren de la Rue, Frederick Brodie…) entreprirent d’étudier et de décrire la surface martienne. La carte de Mars réalisée par Beer et Mädler servit de référence pendant une trentaine d’années mais fut progressivement enrichie. il fut en particulier convenu que les zone sombres correspondaient à des « mers » et les zones claires à des « continents ». Ces mers et ces continents ne furent plus désignés par des lettres mais baptisés du nom d’astronomes illustres (passés ou contemporains), Cassini, Herschel, Maraldi, Mädler eurent ainsi l’honneur d’inscrire leur nom à la surface de Mars.
En 1865 John Phillips présente les résultats de son observation assidue de Mars et propose un planisphère
En 1867 Richard Proctor s’appuie sur les schémas de ses collègues (principalement ceux de son compatriote William Dawes) pour réaliser la première carte de Mars utilisant la nouvelle nomenclature. Il remplace les lettres par des noms d’astronomes et prend quelque libertés (il choisi par exemple de le nom de Dawes à 6 reprises: la mer de Dawes, l’océan de Dawes, le continent, l’ïle…)
En 1876, l’astronome français Camille Flammarion publie également une carte réalisée à partir de ses observations
En 1877,à l’occasion d’une opposition de Mars, l’artiste peintre anglais Nathaniel Green se rend dans l’île de Madère où, en altitude et bénéficiant de conditions particulièrement favorables, il passe toutes ses nuits (du 19 août au 5 octobre) à observer Mars et à réaliser plusieurs dizaine de croquis qu’il synthétise en une carte.
Les canaux martiens
Pour les astronomes de la fin du XIXème siècle un nombre croissant d’indices permettaient de penser que Mars avait de nombreux point communs avec la Terre: sa période de rotation et une obliquité proches, des calottes polaire aux variations saisonnières, peut-être une atmosphère, des mers et des continents… Il était alors tentant de se demander jusqu’à quel point les deux planètes se ressemblaient et s’il était possible que Mars puisse abriter la vie et pourquoi pas une vie intelligente ! C’est dans ce contexte là qu’un malentendu survint et enflamma l’imagination populaire mais aussi celle des astronomes. L’un des termes utilisé par l’astronome italien Giovani Schiaparelli pouvait prêter à confusion, en effet « canale » devait être traduit par « chenal » (qui désigne une formation naturelle où s’écoule un cours d’eau ) mais il a plutôt été traduit « canal » (qui désigne une structure artificielle). Schiaparelli n’était pas le premier à utiliser ce terme ou a les représenter sur une carte mais il est le premier à les reporter en nombre si important et à les faire figurer avec une telle précision. Schiaparelli publie une première carte en 1877
Outre la présence de canaux, Schiaparelli modifie la nomenclature en vigueur et baptise la plupart des structures observées de noms latins correspondant à des mers, des océans et diverses structures géologiques terrestres, bibliques ou mythologiques.
Mais la présence des canaux martiens est particulièrement marquée sur la nouvelle carte publiée en 1879
Par la suite Schiaparelli ne cesse de proposer des actualisations de ses cartes
Schiaparelli n’est pas le seul astronome convaincu de voir des canaux sur Mars, si certains affirment ne pas les observer, d’autres marchent dans les pas de Schiaparelli et établissent des cartes martiennes parfois essentiellement dédiées aux canaux comme par exemple
Perrotin et Thollon en 1886
Lowell est l’un de ceux qui défendra avec acharnement la théorie des canaux martien et proposera plusieurs actualisations de carte de Mars
Le français Eugène Antoniadi se rallie dans un premier temps à l’idée d’une planète Mars constellée de canaux et publie en 1899, dans la revue « La nature » une carte du globe martien où figurent ces derniers.
La crépuscule des canaux martiens
Eugène Antoniadi réalise lors de l’année 1909 des observations avec une lunette de 81 cm qui vont le convaincre que les canaux martiens ne sont finalement qu’une illusion, il publie en 1910 une cartes où ces derniers en sont totalement absents. L’existence des canaux martiens cesse alors d’être une évidence et seule une fraction d’irréductibles , en particulier Percival Lowell, restent persuadé de leur réalité. Seule l’exploration spatiale par les sondes permettra de mettre fin aux espoirs des derniers partisans des canaux.
Mars en photo
Parallèlement à l’observation directe et la réalisation de schémas, la cartographie de Mars s’appuie progressivement sur une toute nouvelle technique: la photographie. Les premières photos sont floues nécessitent des temps de pause de plusieurs heures ce qui rend la photographie difficilement utilisable en astronomie mais les progrès sont rapides ce qui encourage diverses tentatives de photographier la planète rouge. Parmi les premiers clichés on trouve ceux prix en 1890, à l’aide du télescope du Mont Wilson (en Californie) par W.H Pickering.
Dix-sept ans plus tard, en 1907, Percival Lowell , utilise le télescope de Flagstaff
L’exploration spatiale
Les télescopes terrestres de plus en plus puissants permettent d’observer de plus en plus de détails à la surface de Mars mais ce n’est véritablement qu’avec l’ère spatiale que se produit un véritable bond en avant. L’envoi de sondes en orbite autour de Mars permet de s’affranchir des perturbations de l’atmosphère terrestre et surtout de s’en rapprocher de plusieurs dizaines de millions de kilomètre.
Les différents orbiteurs de la NASA (Viking, Mars Express, Mars reconnaissance, Mars global Surveyor, Mars Odyssey) ont permis la réalisation de cartes de plus en plus détaillées et la résolution croissante des grâce à des appareils ne cessant de s’améliorer. Ces cartes sont réalisées à partir de prises de vue en lumière visible ou dans des longueurs d’onde particulières (notamment en lumière infrarouge) Toutes ces cartes sont disponible en ligne: http://themis.asu.edu/maps
En 2016 Ordnance Survey, une société britannique spécialisée dans la cartographie compile les clichés de la NASA pour proposer une carte d’Arabia Terra, une zone de mars pressentie pour accueillir de futur missions habitée (carte au un quatre millionième)
Attribution-Noncommercial 3.0 – Ordnance Survey UK
Aujourd’hui la NASA propose une carte en ligne complète de Mars avec une résolution de 20 mètres par pixel. Elle permet de parcourir la totalité de la planète rouge dans les moindre détails ! (à consulter ici: http://mars.nasa.gov/maps/explore-mars-map/fullscreen/ )
Sources
- Livre « Mars from myth and mystery to recent discoveries » par Markus Hotakainen, éditions Springer
- Livre « La planète Mars et ses conditions d’habitabilité » par Camille Flammarion – 1909
- Article « Quand la planète Mars avait des canaux » par Sylvie Voisin et Gilles Kremer – Site Gallica – 2016
- Article « la vie sur la planète Mars » par l’abbé Moreux – Revue « La Nature année 1899
- Livre « Mars and its canals » par Percival Lowell – 1911